Marcher sur le Chemin du Nadir au Zenith!
20 juillet 2009
Mes amis de Provence habitent le long du chemin de terre qui est l’itinéraire sud du pèlerinage à Compostelle. Ils voient parfois des pèlerins passer, surtout au printemps au mois de mai, avant les grosses chaleurs, et qui s’arrêtent pour demander à renouveler leur provision d’eau.
De Genève, un bon marcheur met environ deux mois et 1/2 pour rejoindre Compostelle. Certains y vont à cheval, à vélo, ou en étapes sur plusieurs années.
J’ai connu quelques personnes ayant fait ce pèlerinage. Les motivations sont multiples: adhésion à la foi chrétienne; mise à l’épreuve personnelle; cheminement d’introspection. Quelques-uns que j’ai connus insistent sur l’épreuve physique. Il est vrai que le corps est le lieu de notre expérience intérieure, le laboratoire du dépassement de soi. Mais tous n’ont pas pour autant pu en faire une expérience mystique: peut-être par manque d’un objectif personnel bien défini. La mise à l’épreuve ne conduit pas automatiquement à une révélation intérieure.
Compostelle, «campus stellae» ou «champs des étoiles», peut aussi représenter un cheminement plus intérieur, moins physique. Voici ce qu’en le Guide du Routard:
«An 44 : une barque de pierre flotte mystérieusement vers la plage d'El Padrón, à l'extrémité occidentale de la Galice espagnole. Elle porte les restes martyrisés de saint Jacques-le-Majeur, celui que l'on voit près du Christ sur les tableaux de la Cène. Saint Jacques sera enterré au champ des étoiles, « campus stellae » pour Compostelle. Bientôt les miracles se succèdent. Une basilique est construite à Santiago de Compostela. Saint Jacques apparaît en rêve à l'empereur Charlemagne et lui ordonne de reprendre les terres conquises par les musulmans. Légendes et récits des hauts faits de chevalerie, dont l'épopée de Roland à Roncevaux, ne manquent pas pour accompagner ceux de Jacques, lui-même apparaissant sur un cheval blanc lors de la bataille de Clavijo contre les Sarrasins. Il sera surnommé le « Matamoros », le tueur de Maures.
Au Moyen Age, le pèlerinage prend une ampleur sans précédent. Les Jacquets se pressent sur les routes dangereuses, cherchant des gués, priant pour des grâces. Ils seront près d'un demi-million par an à arpenter les chemins où se glissent les voleurs, déguisés en « coquillards » donnant leur nom plus tard à la coquille ou faute d'imprimerie. En 1140, un petit moine poitevin, Aymeric Picaud, décrit le premier topo-guide des chemins, dans le Codex Calixtinus. Ce sera le début des grands itinéraires qui draineront tous les pèlerins des pays de l'Europe catholique. Pour le plus grand nombre, venus du Nord, de l'Oural, d'Écosse, de la Scandinavie, ils se rejoignent en France. Ceux d'Italie longent les Pyrénées. Ceux de la Méditerranée viennent du sud de l'Espagne et du Portugal. Le pèlerinage de Compostelle est classé premier au hit-parade des grands pèlerinages médiévaux.»
Si la thématique de Saint-Jacques contient l’idée de mettre dehors un envahisseur, on peut, dans l’idée d’un cheminement intérieur, la transposer sur un autre plan. L’envahisseur peut prendre plusieurs formes, par exemple:
- les choses imposées de l’extérieur qui sont contraires à notre conscience;
- les obsessions ou dépendances qui aliènent notre liberté intérieure.
Le Compostelle, le «champs d’étoiles» intérieur, est alors le fait de retrouver notre liberté et de s’ancrer non dans les croyances des autres mais dans la clarté de notre propre conscience. Que cela s’appelle Dieu, Lumière intérieure, Vérité, ou autre, m’importe peu. Le pèlerinage n’est pas une forme d'obéissance à une structure ou autorité religieuse extérieure: il est un chemin personnel, intime, où la confrontation est entre soi et ce qui nous éloigne de soi-même.
Et ce chemin-là peut se faire partout: au bureau, à la maison, dans la vie quotidienne, sans avoir besoin de chaussures particulières.